Yaisse! Un nouveau livre de Woody Allen sort aujourd'hui! Comme à chaque fois, c'est un régal. Remercions la Providence d'avoir donné à ce type l'humour en même temps que l'angoisse existentielle!
Comme dans ses précédents ouvrages (Dieu, Shakespeare et moi, Destins tordus, Pour en finir une bonne fois pour toute avec la culture...), Woody Allen met en scène des destins personnels souvent torturés. Il traverse allègrement les barrières de l'absurde et dépeint une vie toute faite d'aspirations légitimes et de désillusions systématiques. En dix-huit nouvelles, on commence par l'angoisse d'un père à l'idée que son rejeton pourrait rater l'examen d'entrée à la meilleure école maternelle de Manhattan pour terminer par le témoignage de Mickey au procès des dirigeants de Disney. Tout ça sans oublier Eschyle, Kant, Schopenhauer et les Secrets minceur de Friedrich Nietsche.
Je pourrais faire ici quantité de citations comme celle mise en exergue sur la quatrième de couverture: "Ce que je sais en physique, c'est que pour un homme se tenant sur la berge, le temps passe plus vite que pour celui qui se trouve en bateau -surtout si ce dernier est avec sa femme."
Je préfère recopier un extrait plus grand pour que vous puissiez vous faire un moment de cinéma. Imaginez Woody Allen dans cette scène, extraite de la nouvelle Le chantier infernal:
... Tout commença avec l'achat d'un petit bâtiment de grès brun dans l'Upper West Side de Manhattan. Mlle Wilpong, de l'agence immobilière Mengele, nous avait assuré que nous faisions l'affaire du siècle: le prix ne dépassait pas en effet celui d'un bombardier furtif. Ledit logis était vendu "prêt pour emménagement immédiat" -et sans doute l'était-il pour une famille de romanichels ou des amateurs de bivouac sur gravats.
"C'est un défi, déclara ma femme, pulvérisant du même coup le record féminin de la litote en salle. Ça va être drôlement amusant de retaper cette maison."
Je tâchai de faire contre mauvaise fortune bon cœur et, esquissant un pas de côté pour éviter une latte de plancher branlante, comparai les charmes de notre nouvelle maison à ceux de l'abbaye de Carfax, où le comte Dracula avait en son temps élu domicile.
[...]
N'ayant pas de projet de détournement de fonds à court terme, je ne voyais pas comment j'allais pouvoir financer cette nouvelle aventure. Il fallut que je déploie des trésors d'astuce pour obtenir un emprunt immobilier, que des banquiers sceptiques commencèrent par me refuser, avant de découvrir une brèche dans la législation sur les prêts usuraires. L'étape suivante consista à trouver un entrepreneur convenable. Au fur et à mesure que les devis pour les travaux arrivaient, je ne pus m'empêcher de penser que les prix annoncés correspondaient plutôt au budget de rénovation du Taj Mahal. J'optai finalement pour une estimation si raisonnable qu'elle en était suspecte, émanant du bureau d'un certain Max Arbogast, alias Chic Arbogast, alias Arbo-le-Bigleux -un petit ectomorphe au teint cireux dans les yeux duquel brillait cette lueur caractéristique que l'on retrouve chez le méchant dans les westerns de série B...
Tout ça paraît bien léger, mais j'ai remarqué au fil des textes qu'on trouve des mots comme holocauste (conjugal, puis théâtral), Mengele ou Noah Untermensch. Woody Allen n'était pas en Europe quand ça s'est passé, ni ses parents d'ailleurs, mais je pense qu'une grande partie de sa névrose vient de là. Ça permet de comprendre sa fragilité et sa peur permanente que le sol se dérobe sous ses pieds. Dans ses films comme dans ses écrits.
Dans tous les cas, courez acheter ce bouquin, c'est du Woody Allen pur sucre et c'est la seule chose qui compte!
P.S: Amusez-vous à observer dans la presse, à l'occasion de la sortie de ce livre, le nombre de journalistes en mal d'imagination qui vont utiliser la formule Juif new-yorkais binoclard...
Woody Allen: L'erreur est humaine, Flammarion, 253 pages.
Comme dans ses précédents ouvrages (Dieu, Shakespeare et moi, Destins tordus, Pour en finir une bonne fois pour toute avec la culture...), Woody Allen met en scène des destins personnels souvent torturés. Il traverse allègrement les barrières de l'absurde et dépeint une vie toute faite d'aspirations légitimes et de désillusions systématiques. En dix-huit nouvelles, on commence par l'angoisse d'un père à l'idée que son rejeton pourrait rater l'examen d'entrée à la meilleure école maternelle de Manhattan pour terminer par le témoignage de Mickey au procès des dirigeants de Disney. Tout ça sans oublier Eschyle, Kant, Schopenhauer et les Secrets minceur de Friedrich Nietsche.
Je pourrais faire ici quantité de citations comme celle mise en exergue sur la quatrième de couverture: "Ce que je sais en physique, c'est que pour un homme se tenant sur la berge, le temps passe plus vite que pour celui qui se trouve en bateau -surtout si ce dernier est avec sa femme."
Je préfère recopier un extrait plus grand pour que vous puissiez vous faire un moment de cinéma. Imaginez Woody Allen dans cette scène, extraite de la nouvelle Le chantier infernal:
... Tout commença avec l'achat d'un petit bâtiment de grès brun dans l'Upper West Side de Manhattan. Mlle Wilpong, de l'agence immobilière Mengele, nous avait assuré que nous faisions l'affaire du siècle: le prix ne dépassait pas en effet celui d'un bombardier furtif. Ledit logis était vendu "prêt pour emménagement immédiat" -et sans doute l'était-il pour une famille de romanichels ou des amateurs de bivouac sur gravats.
"C'est un défi, déclara ma femme, pulvérisant du même coup le record féminin de la litote en salle. Ça va être drôlement amusant de retaper cette maison."
Je tâchai de faire contre mauvaise fortune bon cœur et, esquissant un pas de côté pour éviter une latte de plancher branlante, comparai les charmes de notre nouvelle maison à ceux de l'abbaye de Carfax, où le comte Dracula avait en son temps élu domicile.
[...]
N'ayant pas de projet de détournement de fonds à court terme, je ne voyais pas comment j'allais pouvoir financer cette nouvelle aventure. Il fallut que je déploie des trésors d'astuce pour obtenir un emprunt immobilier, que des banquiers sceptiques commencèrent par me refuser, avant de découvrir une brèche dans la législation sur les prêts usuraires. L'étape suivante consista à trouver un entrepreneur convenable. Au fur et à mesure que les devis pour les travaux arrivaient, je ne pus m'empêcher de penser que les prix annoncés correspondaient plutôt au budget de rénovation du Taj Mahal. J'optai finalement pour une estimation si raisonnable qu'elle en était suspecte, émanant du bureau d'un certain Max Arbogast, alias Chic Arbogast, alias Arbo-le-Bigleux -un petit ectomorphe au teint cireux dans les yeux duquel brillait cette lueur caractéristique que l'on retrouve chez le méchant dans les westerns de série B...
Tout ça paraît bien léger, mais j'ai remarqué au fil des textes qu'on trouve des mots comme holocauste (conjugal, puis théâtral), Mengele ou Noah Untermensch. Woody Allen n'était pas en Europe quand ça s'est passé, ni ses parents d'ailleurs, mais je pense qu'une grande partie de sa névrose vient de là. Ça permet de comprendre sa fragilité et sa peur permanente que le sol se dérobe sous ses pieds. Dans ses films comme dans ses écrits.
Dans tous les cas, courez acheter ce bouquin, c'est du Woody Allen pur sucre et c'est la seule chose qui compte!
P.S: Amusez-vous à observer dans la presse, à l'occasion de la sortie de ce livre, le nombre de journalistes en mal d'imagination qui vont utiliser la formule Juif new-yorkais binoclard...
Woody Allen: L'erreur est humaine, Flammarion, 253 pages.
3 commentaires:
J'adore Woody Allen, mais j'ai toujours été très déçu par les traductions des livres que j'ai lu (comment imaginer que Woody Allen parle d'Alice Sapritch!). Faudrait que j'essaye celui-là.
z
Je te rassure, il n'est question ni d'Alice Sapritch, ni de Louis de Funès!
Nicolas Richard, le traducteur, m'a l'air tout à fait bien. Je te conseille ce bouquin. Et si tu es mécontent, viens me le dire en face! Je me réjouis déjà!... ;-)
Excellents ces passages!:-)
Je n'avais jamais lu de livre de lui (vu pas mal des ses films par contre, j'adore), je pense que je vais m'y mettre.
Merci de m'avoir fait connaître.
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